La Passerelle
de Saint-Mandé

les dits et écrits de Catherine

RIEN N’EST PERDU

C'est mercredi, plus précisément, le 3ème mercredi du mois. Fine connaisseuse dans l'art de jongler avec " les plaisirs et les jours ", comme dirait Marcel, il faut dire qu'en ce moment, je ne quitte pas PROUST d'une semelle, cela me maintient, la remémoration des jours heureux, la vision d'un avenir radieux, la perspective d'un bonheur possible, cette légèreté de l'être qui a été ma spécialité et qui hélas, nous fait un peu défaut en ce moment, me confirme mon mari… l'esprit de lourdeur serait en marche ?

Or donc, le 3ème mercredi du mois dans mon quartier de l'Alouette, c'est le jour de la déchetterie mobile, eh oui ! Dans une œuvre récente je déclarais " avant je triais mes relations, le dessus du panier, la crème de la crème, aujourd'hui, c'est ma poubelle que je trie ". Grandeur et décadence me direz-vous ? Eh ! bien non, pas de mauvais esprit, s'il vous plait.

De bon matin, vers 11h30, car si l'avenir appartient aux gens qui se lèvent tôt, l'imagination, elle, appartient plutôt à ceux qui se couchent tard. Je partais donc légère et court vêtue vers la place du marché où m'attendaient le sourire aux lèvres les préposés au reclassement de nos ordures… car mêmes les ordures ont un avenir dans notre beau pays françois.

Consciencieusement, ils m'interrogent sur le contenu de mes sacs, que je révèle, sans problème de mémoire, puis, ils me demandent mon identité, j'obtempère : " je m'appelle Catherine BLANCHARD épouse ROGUET ". Je m'en souviens très bien dis-je, je ne suis pas encore Alzheimer… On rit de conserve car comme vous le savez le rire est le propre de l'homme comme disait BERGSON, je viens d'apprendre qu'il était le cousin de PROUST, le monde est petit me dit le préposé, la conversation était lancée !

Sur ce, on échange à bâtons rompus sur la condition de l'être, être ou ne pas être bien dans sa peau même vieille. Vieillir, mais bien vieillir, aérer sa tête par quelques mouvements des cervicales, marcher dans la beauté du monde, faire travailler ses neurones. Le dialogue était lancé, j'ajoutais à ce programme de développement personnel : " dire de la poésie à chaque fois qu'on peut " J'enchainais bien sûr avec ce beau texte, mon cheval de bataille : " la beauté du visage est un frêle ornement, une fleur passagère, un éclat d'un moment et qui n'est attaché qu’au frêle épiderme, mais celle de l'esprit est inhérente et ferme..." MOLIÈRE " dit l'un d’eux, " Les femmes savantes, acte III, scène 4 " dit l'autre et il enclenche le monologue de l'Avare…

C'est beau la langue française répétaient les passants et c'est sous les applaudissements d'un public conquis que je suis repartie chez moi !

Cela m'a rappelé une anecdote racontée par Jacques-Henri PONS, auteur humoriste en Avignon. Il avait un ami qui s'appelait Horace et qui participait à ce beau festival. Il allait en gare d'Avignon chercher Alain CUNY qui jouait le soir dans la Cour des Papes, ils montent dans un taxi, le taxi le reconnait et lui demande de lui réciter " Tête d'Or " de Paul CLAUDEL.

Le grand Alain, acteur à la voix psalmodiant, entame un récitatif qui dure au bas mot 4 heures trente… " L'oiseau chante l'été, il se tait en hiver, moi je chante dans l'air âpre et dur, et vers le ciel désert, quand tout gèle, je m'élève éperdument ! Car ma voix est celle de l'amour et la chaleur de mon cœur est comme celle de la jeunesse…" le chauffeur pleurait de bonheur…

Rien n'est perdu, donc, quand c'est beau et bien dit... cela touche tout le monde. La France est un pays comme les autres, elle ne se démarque que par sa grande littérature affirmait BEAUMARCHAIS…

… qu'on se le dise à voix haute !

 

Catherine BLANCHARD, septembre 2023.

UNE JOURNÉE D’ENFER

S'il est vrai que l'Enfer est pavé de bonnes Intentions… vendredi 25 novembre, c'était ma fête.

Pour faire ma bonne action du mois, je me suis donc proposée de faire partie de l'équipe
de la Croix Rouge qui sollicite, à l'entrée des magasins, les clients afin qu'ils achètent
les produits de première nécessité, pour les pauvres de la ville…

Oui, aujourd'hui il faut penser aux autres, vous ne le saviez pas ?

Allons... regardez sur votre pense-bête : " pensez au lait, pensez au pain, pensez au chat, pensez aux autres " oui, c'est écrit… en tout petit, mais c'est écrit…

Il y a même une journée de la pauvreté, une seule, donc, c'est faisable !

Le 25 novembre, c'était la journée de la Banque alimentaire…

J’étais donc, dans une jolie veste marquée Croix Rouge, au pied de l'escalier mécanique du Monoprix,
à distribuer mes petits papiers… Tout le monde a été très généreux, des pâtes, du chocolat, des biscuits et
des boîtes de thon, à volonté…

Tout à coup, patatras… l'escalier mécanique tombe en panne.

Impossible à l'équipe de sécurité de faire fonctionner l'escalier...

Hasard me direz-vous ? Non, je n'y crois pas. Il n'y a pas de hasard.

Le seul jour où je fais le pied de grue en bas des marches ?

Intervention divine ? Plutôt une nouvelle mise à l’épreuve m'attendait. Grands-mères avec canne et mères
de famille avec enfants dans des poussettes géantes tout-terrain m'attendaient en haut de l'escalier.

Que faire ? Baisser les bras ?

Priver une clientèle généreuse du plaisir de donner pour une fois dans l'année ?

Non ! Catherine, non ! Se retrousser les manches, oui, et faire face !

Une grande chaîne de solidarité a été vivement mise en place pour que les clientes et clients puissent accéder aux rayons, tout le monde a été parfait, il n'y aura pas de fracture du col de fémur, moi présente !

Et puis, soudain patatras, un homme, bien sous tous rapports, est parti avec des provisions
qu'il n'avait pas pu ou voulu régler à la caisse, il faut dire que c'est tentant tous ces étalages
à portée de main, moi-même, j'étais devant le rayon chocolat, voyez.

Il faut dire que c'est bientôt Noël, heureusement, j'avais entamé un régime le matin-même, donc… pas de problème, d'ailleurs ce sera l'objet d'une autre chronique, le régime, on verra ça après les fêtes !

Enfin, je termine... Une autre épreuve m'attendait… les alarmes tintaient, les agents de sécurité, de grands gaillards, patibulaires mais presque, avaient rattrapé le malheureux avant la sortie du magasin.

Les menaces fusaient de toutes parts, la police allait être prévenue. Il fallait intervenir vite, calmer le jeu, parlementer, trouver un terrain d'entente, d'abord le fric, car le magasin doit y trouver son compte, attention ! Faire régler les courses pour retrouver la sérénité en ce beau jour de solidarité nationale que je voulais parfait et puis raccompagner avec le sourire le pauvre homme " confus et honteux qui jura mais un peu tard qu'on ne l'y prendrait plus ! "

Eh oui ! Si vous avez besoin de la Banque alimentaire, il y aura une distribution prochainement, mais je vous en prie, pas de libre-service, enfin pour le moment : " prenez et mangez en tous " je sais, c'est la deuxième partie du programme alimentaire, on n’en est pas encore là, mais je ne désespère pas l'année prochaine.

Pourquoi pas ? À moins que d'ici là, il n'y ait plus de misère... 

Catherine BLANCHARD, décembre 2022.

CE N’EST PAS LA JOIE

La vie est décidément pleine de surprises, bonnes ou mauvaises.

Hier, nous nous inquiétions du coût de la vie, aujourd'hui, la vie de certains ne vaut plus grand-chose !

On évoquait la réouverture des bars et des restaurants comme la préoccupation majeure de nos existences, le rappel à l'ordre est violent, la menace d'un conflit est à nos portes et les ultimatums échangés ne sont pas pour nous rassurer !

Installés dans une espèce de rêve éveillé, avec nos problèmes et nos soucis du quotidien, " Heureux les heureux ", nous disait Yasmina REZA.

Nous nous réveillons d'un sommeil trompeur, la paix n'est pas éternelle, le confort intellectuel non plus, et la civilisation n'a qu'une durée limitée.

Hélas, la fragilité de notre monde ne peut plus nous échapper, nous avons changé radicalement de paradigme, il ne s'agit plus du panier de la ménagère qui vacille sous les assauts de la grande distribution, mais de nos voisins, le but étant l'éradication d'un peuple par un autre, une histoire qui se reproduit dangereusement, d'autant que le pays est à 3 heures de chez nous et si on bouge un cil, on sent bien que la menace est réelle.

On assiste impuissant au retour de la folie ordinaire des tyrans, qui d'ailleurs, commencent à être majoritaires dans les pays alentours, le nationalisme reprend des couleurs, les frontières résistent mal aux assauts répétés des agresseurs, on nous ressert l'éternel retour d'un grand empire disparu, la reconquête et le bon droit des envahisseurs qui viennent libérer le peuple à coups de bombardements. Si tu veux la paix, prépare la guerre… on connaît la chanson...

Ce qui me parait terrible, c'est que rien n'a l'air de changer, les émissions de télévision se succèdent, à la radio, les journalistes font des comptes rendus, les politiques font des déclarations, certes, moi, je reste sans voix devant la tragédie qui se profile.

L'humour m'a protégée jusqu'ici des contrariétés de toutes sortes, des promoteurs qui détruisent notre environnement, de l'épidémie qui depuis deux ans nous assigne à résidence, des paroles des médecins et des polémistes de toutes sortes qui nous abreuvent de messages contradictoires et mensongers, mais là…

Je ne sais pas si je vais pouvoir continuer à faire rire les copains, je sais qu'on a privé les Russes de foot et de Festival de Cannes, cela me parait léger comme privation. Les yachts des oligarques vont rester à quai un petit moment, est-ce que les sanctions financières sont à la mesure des pertes humaines et des milliers de réfugiés à venir !

Envoyer de l'argent, des vivres, des couvertures, c'est tout ce que je peux faire…

J’ai fait espagnol en deuxième langue et pas kung-fu, j'ai vu les têtes des tchéchènes, vraiment, je ne fais pas le poids, je crois que je vais me taire et prier.

 

Catherine BLANCHARD, mars 2022.

vivre ensemble

Une nouvelle année va commencer, on peut faire des vœux !

Pour vivre heureux, vivons cachés, pour vivre ensemble, en bonne intelligence, il faut être bon et intelligent, eh bien voilà, tout s'explique, je comprends pourquoi on a des problèmes de copropriété, de couple ou de famille.

Il faut reprendre le fil, le droit fil de l'histoire humaine. D'abord, Dieu créa le Ciel et la Terre, jusque-là, rien à dire, rien ne se passe, on imagine un immense clapotis, un souffle léger sur le début d'un bosquet… le calme plat, le silence sur les eaux, tout est bon et intelligent forcement puisqu'il n'y a personne… Dans toutes les civilisations cela commence toujours comme ça. Le bonheur… le paradis, on l'avait, il était là. Mais qu'est-ce qui a pris au créateur ? L’ennui ? Je ne vois que ça, l'ennui du bricoleur compulsif et en six jours, il nous a bâclé le Livre de la Jungle, la Guerre des Gaules, les travaux d'aménagement du territoire de Madame Hidalgo, un vacarme qui ne s'arrête jamais. On n'a plus une minute de tranquillité depuis que les poissons ont eu la malencontreuse idée de sortir de l'eau !

Je n'ose même plus vous parler de la rue de l'Alouette, où j'habite encore. On est sur le chantier tous les matins avec Ali et ses potes à 8 heures. De bonne heure, de bonne humeur, passez quand vous voulez vous ne pouvez pas nous louper, on boit le café autour du brasero.

Vivre en bonne intelligence, facile à dire, ou alors, il faudrait faire passer des tests avant d'avoir des contacts, c'est une idée, un test, non ? En ce moment, c'est la mode, à part moi tout le monde se fait tester. Tiens, un test pour sélectionner les voisins de paliers, par exemple. On pourrait même indexer le prix de l'immobilier avec le niveau d’intelligence au mètre carré, avec ce principe, il y en a pas mal qui coucheront dehors ce soir, c'est moi qui vous le dis !

Vivre en bonne intelligence, compliqué, sachant qu'on est toujours l'imbécile de quelqu'un : je crois bien que c'est du Montherlant, il avait la dent dure, Montherlant. Très intelligent, mais pour la bonté ? Je ne suis pas sûre ? Et il faut les deux, " bon et intelligent", c'est marqué sur la notice !

Il existe une Journée de la Bonté, c'est bien, mais insuffisant. Désolée, il faut augmenter les doses et rapidement, comme pour le vaccin !

Je l'ai lu : " Une réunion d'égoïstes cela ne fait pas un pays " voilà, c'est dit. Il faut remettre du liant, de la fraternité, de la solidarité. Or, comme depuis plusieurs années, on favorise l'individualisme à tout va, on prône la compétition et si tu défends les valeurs humanistes, on te prend pour un gogo, un attardé, un idiot qui ne comprend rien au système, un " looser ", le cauchemar des américains.

On essaye de séparer les gens, isolés, ils seront plus faciles à manipuler. Seul, on est faible, car depuis toujours c'est l'union qui fait la force.

Vivre en bonne intelligence, " ce cœur intelligent ", c'est Stendhal, notre valeur refuge, notre soleil. Vivre ensemble, cela demande une sorte de grâce, une légèreté, l'oubli des mesquineries, de la bureaucratie, un art de vivre à la française où se mêlent une joie intérieure, un soupçon de fantaisie et enfin un courage face aux dangers comme le Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand :

" Ah ! Ah ! Les compromis, les préjugés, les lâchetés ! Que je pactise ? 

Jamais, jamais ! Ah te voilà, toi, la Sottise !

Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ; n'importe : je me bats ! Je me bats, je me bats ! "

Le courage, " vertu cardinale ", loi sans laquelle il n'y a pas de vie possible. 

Catherine BLANCHARD, janvier 2022

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